Alors que la demande mondiale pour le transport aérien continue de grimper, l’industrie fait face à une réalité glaçante : les jeunes s’en détournent massivement. Et ce n’est pas une impression. C’est une alerte chiffrée, documentée, posée noir sur blanc dans le dernier rapport de la Chaire Pégase.
Autocensure et élitisme : des barrières mentales bien installées
Le chiffre frappe. Selon l’étude de la Chaire Pégase, « 65 % des jeunes de 15 à 24 ans n’ont jamais envisagé de faire leurs études ou leur carrière dans les secteurs de l’aérien et de l’aéronautique ». Un désintérêt massif. Un décrochage net. Et surtout, un signal d’alarme pour un secteur pourtant en tension permanente de main-d’œuvre.
Les carnets de commandes explosent, les compagnies manquent de bras, mais la jeunesse regarde ailleurs. Le paradoxe est vertigineux : alors que la filière redécolle après la pandémie, elle reste à court de candidats. En réalité, la majorité des jeunes ne voient tout simplement pas ces professions comme une option.
L’enquête révèle un autre constat, tout aussi glaçant : « 52 % des jeunes s’autocensurent, estimant que ces métiers sont inaccessibles ou réservés à une élite ». En clair, ce n’est pas qu’ils rejettent le secteur. C’est qu’ils n’osent même pas y penser.
Le mythe d’un secteur réservé aux ingénieurs brillants, aux pilotes bardés de diplômes, ou aux enfants de l’élite reste vivace. Et il pousse une génération entière à se censurer avant même de tenter. Une méfiance ancrée, alimentée par une vision déformée de la réalité. Seuls « 21 % des jeunes considèrent les processus de recrutement comme accessibles », et plus de la moitié pensent, à tort, qu’un cursus scientifique est un prérequis absolu. Résultat : les portes paraissent closes avant même d’avoir été ouvertes.
Métiers invisibles, entreprises inconnues : le grand flou pour les jeunes
Le mal est plus profond encore. Il est culturel. Et commence souvent à l’école. « Près de 49 % des jeunes déclarent ne pas connaître les métiers et les entreprises du secteur », souligne le rapport. On connaît Air France, on connaît Airbus. Mais au-delà ? C’est le brouillard. Thales, Safran, Daher ? Méconnus. Chaudronnier, technicien composites, stratifieur-drapeur ? Inexistants dans le paysage mental d’une majorité d’adolescents.
La réalité, c’est que le secteur souffre d’un déficit brutal de visibilité. Il ne parle pas. Il ne séduit pas. Il n’apparaît pas comme une voie ouverte, ni même comme une voie possible. Et quand les métiers sont inconnus, les vocations ne naissent pas.
Ce que les jeunes cherchent aujourd’hui, ce n’est pas seulement un emploi. C’est un équilibre. Un sens. Une reconnaissance. Et sur ce terrain-là, l’aéronautique accuse aussi un retard. Seuls « 41 % pensent que les entreprises de l’aérien et de l’aéronautique offrent de bonnes conditions de travail ». À peine « 18 % estiment qu’elles sont respectueuses de l’environnement ».
L’aérien souffre encore de son image de secteur polluant, opaque, éloigné des valeurs des nouvelles générations. Ce n’est pas seulement une question de technique ou de salaires. C’est un problème d’image globale. De lisibilité. D’adhésion.
Un plan d’action ambitieux : parler, ouvrir, incarner
Face à ce tableau, la Chaire Pégase ne se contente pas de constater. Elle propose. Quinze recommandations concrètes, réparties en quatre axes clairs. Le premier : « sensibiliser dès le plus jeune âge », faire entrer les métiers de l’aéronautique dans les collèges, voire les écoles primaires. Le deuxième : « diversifier les profils », aller chercher au-delà des cercles habituels, dans les zones rurales ou les quartiers oubliés.
Troisième priorité : « valoriser les engagements du secteur », notamment sur la transition écologique, la connectivité, la solidarité. Enfin, dernier levier : « lever les freins structurels », simplifier les parcours, éclaircir les conditions d’accès, renforcer les synergies.
« Il faut sortir de la communication élitiste et montrer que des parcours très variés peuvent mener à ces métiers. Le prestige ne suffit plus à attirer, il faut répondre aux attentes concrètes des jeunes », conclut Paul Chiambaretto, directeur de la Chaire Pégase.