Le 18 juin 2025, à quelques encablures du Paris Air Show, Anduril et Rheinmetall dévoilaient leur alliance sur le sol européen. Parmi les systèmes annoncés, un nom revient en boucle : Barracuda. Ce missile modulaire, pensé dès l’origine pour la production rapide et l’intégration OTAN, est en passe de bousculer l’ordre établi. Face à lui, les programmes français traditionnels devront prouver qu’agilité et industrialisation ne sont plus incompatibles.
Un missile de croisière conçu pour la guerre d’usure
Pensé dès l’origine pour la guerre prolongée, le Barracuda se distingue par un pari osé : produire beaucoup, vite, à coût maîtrisé. Selon Anduril, sa conception repose sur moins de vingt pièces principales, contre plusieurs centaines pour un missile classique. Résultat : une cadence de production inédite, avec une réduction des coûts estimée entre trente et cinquante pour cent selon les versions.
Trois gammes ont été dévoilées. La version Barracuda-100 offre une portée de 157 kilomètres avec une charge de seize kilogrammes. Le Barracuda-250 pousse cette portée à 370 kilomètres pour la même charge. Enfin, le Barracuda-500 atteint jusqu’à 800 kilomètres avec une charge utile doublée de 45 kilogrammes. Ces caractéristiques placent le Barracuda dans une zone d’efficacité tactique particulièrement utile : au-delà de l’artillerie classique, en deçà du missile stratégique. Un trou capacitaire comblé avec brio.
Une modularité sans précédent sur le marché
Le Barracuda est conçu pour être lancé depuis une gamme inédite de plateformes : chasseurs légers, drones de combat, camions HIMARS, navires côtiers. L’objectif est clair : fournir une solution “plug & fire”, adaptable et interopérable, intégrée nativement aux systèmes de ciblage OTAN.
Autre singularité, le missile est compatible avec la suite logicielle BattleSuite. Une fois couplé à un drone Fury ou à un radar mobile, il peut être désigné automatiquement sur des cibles mobiles, en mode semi-autonome. De quoi séduire les états-majors à la recherche d’une létalité décentralisée.
Atouts techniques et défis opérationnels
La fabrication du Barracuda est calibrée pour être industrielle dès le départ, sans retouche, ce qui permet une production de masse immédiate. Sa polyvalence d’emploi, capable de frappes précises comme de saturation coordonnée, renforce encore son attrait. Il présente également une interopérabilité OTAN native, sans besoin d’adaptation ni de certification complémentaire côté américain.
Cependant, le Barracuda rencontre plusieurs limites. Certaines versions ne sont pas encore validées par les autorités européennes, et malgré l’intérêt affiché de plusieurs armées, les premières commandes fermes se font attendre. Enfin, le missile n’a pas encore été déployé en situation réelle : aucun test opérationnel public n’a été révélé à ce jour.
Qui le commande ? Qui l’observe ?
Le Barracuda est destiné à plusieurs armées européennes à partir de 2026. Les pays visés en priorité sont la Pologne, la Lituanie, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Estonie. Le Royaume-Uni s’est également déclaré observateur stratégique. Aux États-Unis, la version longue portée du Barracuda pourrait intégrer certaines unités du Corps des Marines dès 2027, notamment dans des scénarios de projection amphibie.
Un missile anti-SCALP ?
En France, le Scalp-EG reste le missile de croisière de référence. Mais il coûte cher, n’est compatible qu’avec certains avions (Rafale, Mirage 2000) et repose sur une architecture plus lourde. Le Barracuda ne le remplace pas directement : il le contourne. Plus modeste, plus discret, plus agile, il est conçu pour faire du volume là où le SCALP fait dans la précision unique.
Même constat pour l’Exocet : le missile vedette de MBDA reste indispensable pour la frappe navale, mais il est peu utilisable hors des grandes unités. Le Barracuda peut lui aussi frapper en mer — depuis une corvette, voire un drone naval — avec un coût unitaire divisé par trois.
Dans une époque de guerres longues, les armées n’achèteront plus forcément le meilleur missile. Elles choisiront celui qu’elles peuvent se permettre de tirer tous les jours.