Au lendemain de la première utilisation par la Russie d’un missile balistique intercontinental (ICBM) contre l’Ukraine, les États-Unis procèdent à une révision approfondie de leur posture stratégique. Le département de la Défense (DoD) a annoncé le 21 novembre 2024 des changements dans la doctrine nucléaire des Etats-Unis qui reflètent une adaptation nécessaire à une réalité stratégique multipolaire où la Chine et la Russie jouent un rôle central dans la transformation de l’équilibre nucléaire mondial.
Les USA changent leur doctrine nucléaire en réponse à la Russie
La menace nucléaire évolue, les Etats-Unis s’adaptent
Richard C. Johnson, sous-secrétaire adjoint à la défense pour les questions nucléaires et la lutte contre les armes de destruction massive, a récemment déclaré que le monde est confronté à une prolifération des arsenaux nucléaires à la fois qualitative et quantitative. La Chine et la Russie, en particulier, modernisent activement leurs capacités nucléaires tout en élargissant les rôles de ces armes dans leurs doctrines respectives. Ces États non seulement diversifient leurs moyens de projection nucléaire, mais développent également des systèmes plus agiles, sophistiqués et intégrés, capables de répondre à un éventail croissant de scénarios.
Cette situation impose aux États-Unis de répondre à une double problématique : maintenir une dissuasion crédible contre des menaces simultanées tout en gérant les risques d’escalade, qu’elle soit nucléaire ou non. La multiplication des acteurs dotés de l’arme nucléaire, combinée à l’absence potentielle d’accords sur le contrôle des armements après février prochain, accentue les défis stratégiques auxquels Washington doit faire face.
Quels sont les nouveaux piliers de la doctrine nucléaire américaine ?
Dans ce cadre, la révision stratégique annoncée repose sur plusieurs piliers, détaillés dans le rapport 491 soumis au Congrès. Ce document, conformément à l’article 10, section 491 du Code des États-Unis, expose les ajustements apportés à la doctrine américaine pour s’adapter à la complexité croissante des menaces nucléaires.
La modernisation des capacités nucléaires constitue un élément fondamental de cette stratégie. Parmi les initiatives en cours, la mise en production de la bombe B61-13 illustre la volonté de maintenir une dissuasion flexible et opérationnelle. Cette bombe, variante modernisée de la série B61, est conçue pour être déployée par des aéronefs stratégiques et tactiques, offrant une réponse adaptée à divers scénarios d’escalade.
Les sous-marins nucléaires de classe Ohio, véritables piliers de la triade nucléaire américaine, bénéficient également d’améliorations significatives pour garantir leur disponibilité opérationnelle et leur capacité à opérer dans des environnements contestés. Ces plateformes, discrètes et persistantes, renforcent la crédibilité de la dissuasion en mer, un domaine où les États-Unis cherchent à conserver une supériorité technologique et opérationnelle.
Un autre aspect clé de la doctrine révisée réside dans l’intégration croissante de capacités non nucléaires au service de la dissuasion stratégique. Les systèmes conventionnels avancés, tels que les armes hypersoniques et les capacités cybernétiques, jouent un rôle croissant dans les plans américains. Cette approche hybride vise à offrir au président des États-Unis une gamme de réponses plus flexible face à une agression limitée ou à des menaces stratégiques non nucléaires à forte conséquence.
Une doctrine nucléaire pensée pour gérer l’escalade de la Russie
La gestion de l’escalade figure également en bonne place dans les priorités de la nouvelle posture stratégique. La doctrine américaine met l’accent sur une planification fine des réponses potentielles, adaptées à des attaques nucléaires limitées ou à des actions non nucléaires ayant un impact stratégique majeur. Cette approche repose sur une analyse approfondie des chaînes d’escalade possibles et sur la coordination étroite avec les alliés.
La consultation et la coopération avec les partenaires stratégiques des États-Unis, notamment au sein de l’OTAN et des alliances bilatérales en Asie, renforcent les engagements de dissuasion étendue. Ces consultations permettent d’harmoniser les doctrines, de coordonner les plans de réponse et de rassurer les alliés face à l’évolution des menaces.
Grant Schneider, vice-directeur adjoint pour la stabilité stratégique au sein de l’état-major interarmées, a souligné que les efforts actuels de modernisation visent également à préparer les États-Unis aux défis émergents de la prochaine décennie. La modernisation des infrastructures de commandement et de contrôle nucléaires, la résilience des systèmes de communication stratégiques et la capacité à ajuster la posture en fonction des nouvelles menaces font partie des priorités.
Le rapport 491 reconnaît également que la dissuasion nucléaire, bien qu’essentielle, ne peut pas à elle seule garantir la stabilité stratégique. Des efforts concertés dans le domaine du contrôle des armements, de la réduction des risques et de la non-prolifération restent indispensables pour limiter les dynamiques d’instabilité.