Dans un monde où la domination aérienne repose sur des machines héritées de la Guerre froide mais modernisées avec précision, un avion incarne à lui seul la continuité et la mutation de la puissance russe : le Tupolev Tu-22M. Ce bombardier stratégique continue de traverser les décennies, entre legs soviétique et ambitions futuristes.
Le Tupolev Tu-22M : héritier d’un programme dissimulé, symbole d’une puissance long-courrier
Le Tupolev Tu-22M (OTAN : Backfire) est un bombardier stratégique supersonique à géométrie variable conçu dès 1965 en Union soviétique par le bureau Tupolev. Officiellement entré en service en 1974, il a été initialement présenté comme une simple modernisation du Tu-22 pour contourner les blocages administratifs. En réalité, il s’agissait d’un appareil entièrement nouveau, doté de capacités radicalement supérieures.
L’avion est équipé de deux turboréacteurs NK-25 avec postcombustion, fournissant chacun une poussée de 245 kN, et pouvant atteindre une vitesse maximale de 2 300 km/h. Son rayon d’action de plus de 6 800 kilomètres, combiné à une altitude de croisière de 13 300 mètres, le rend apte à des frappes en profondeur. Il peut emporter jusqu’à 24 000 kg de munitions, incluant bombes classiques, missiles nucléaires et armements de précision modernes tels que le Kh-32 ou le Kh-47M2 Kinzhal dans ses versions les plus récentes (Strategic Bureau of Information).
Le Tu-22M se décline en plusieurs versions notables : Tu-22M0, M1, M2, M3, et Tu-22M3M, cette dernière étant l’objet d’une campagne de modernisation lancée en 2019 à Kazan. Ces appareils modernisés bénéficient d’une nouvelle avionique, de systèmes de guerre électronique, et d’une capacité d’intégration accrue aux réseaux de commandement russes.
Les déploiements du Tupolev Tu-22M : du Caucase à la Syrie, un bombardier dans tous les conflits
Le Tupolev Tu-22M a été engagé dans de multiples théâtres d’opération depuis les années 1980. Il a notamment effectué des frappes de saturation en Afghanistan à partir de 1987, larguant des bombes classiques sur des bastions moudjahidines (aviationsmilitaires.net). Lors des deux guerres de Tchétchénie, il fut utilisé pour frapper les faubourgs de Grozny en soutien des opérations terrestres russes.
En août 2008, pendant la guerre russo-géorgienne, un Tu-22M3 a été abattu par la défense aérienne géorgienne, marquant une perte importante pour l’aviation russe (aviationsmilitaires.net). Plus récemment, le Tu-22M3 a joué un rôle clé dans les campagnes syriennes, avec des raids longue distance contre des cibles de l’État islamique à partir de bases russes, démontrant ainsi la projection stratégique offerte par cet appareil.
Depuis février 2022, le Tupolev Tu-22M a été largement utilisé dans la guerre en Ukraine, notamment pour le lancement de missiles de croisière contre des infrastructures énergétiques ukrainiennes (Le Monde, 16 décembre 2022).
Production interrompue, mais une modernisation prolongée pour le Tupolev Tu-22M
La production du Tu-22M s’est déroulée de 1967 à 1993, avec un total de 497 appareils construits à l’usine aéronautique de Kazan. Aujourd’hui, la Russie est le seul opérateur de cet avion, après que l’Ukraine a démantelé ses appareils entre 2002 et 2004 dans le cadre du désarmement post-soviétique.
Aucun nouvel exemplaire n’est actuellement produit, mais 30 appareils Tu-22M3 font l’objet d’une modernisation poussée au standard Tu-22M3M, avec des tests ayant débuté en 2018. Cette version intègre des missiles hypersoniques, des interfaces digitales et des systèmes de navigation par satellite.
Opération « Toile d’araignée » : les drones ukrainiens font vaciller les aéronefs de l’arrière
Le 1er juin 2025, dans le cadre d’une opération baptisée « Toile d’araignée », plusieurs bombardiers Tu-22M3 ont été détruits ou sévèrement endommagés lors d’une attaque coordonnée de drones ukrainiens sur des bases profondes du territoire russe. Les frappes ont visé notamment les bases d’Olenia et de Belaïa, révélant des failles critiques dans la protection de ces installations stratégiques.
Le nombre précis de Tu-22M détruits n’a pas été confirmé par Moscou, mais selon des estimations de défense occidentales relayées par AP News, au moins trois appareils auraient été rendus inopérants (Associated Press, 2 juin 2025). Ce revers marque un tournant symbolique : la vulnérabilité croissante d’un vecteur stratégique historique dans un conflit contemporain dominé par les drones et les frappes asymétriques.
Vers un successeur ? Le PAK DA en ligne de mire
En parallèle à la modernisation du Tu-22M3M, la Russie développe le programme PAK DA (Perspective AviaKompleks Dalney Aviatsii), un bombardier furtif de nouvelle génération censé remplacer les Tu-22M, Tu-95 et Tu-160 d’ici à 2030. Aucune entrée en service n’a encore été annoncée, mais plusieurs prototypes seraient en construction selon les sources russes officielles.