Alors que la guerre en Ukraine redessine les chaînes de valeur de l’armement européen, Renault, le constructeur automobile français, envisage une percée inattendue dans le secteur des drones militaires. Une manœuvre aux implications industrielles, politiques et opérationnelles majeures, encore enveloppée de zones grises.
Ukraine : Renault entre dans l’arène des systèmes aériens autonomes
Le 8 juin 2025, plusieurs médias ont dévoilé que Renault avait été sollicité par les autorités ukrainiennes pour participer à un projet de production de drones à usage militaire. Les discussions, confirmées par des sources proches du ministère des Armées, restent à ce stade exploratoires, mais avancées.
Selon The Defense Post, Renault aurait ouvert un « canal technique » avec des partenaires locaux et européens, dans l’optique de produire des vecteurs légers, probablement destinés à l’observation tactique courte portée et au renseignement de théâtre. L’absence de déclaration publique du groupe n’est pas une surprise : dans un secteur hautement sensible, le secret précède l’ingénierie.
Objectif opérationnel : compenser l’asymétrie sur le théâtre ukrainien
Face à la saturation du marché automobile et à la déconnexion stratégique du marché russe depuis 2022, Renault cherche une réorientation industrielle. Et c’est paradoxalement à proximité du front, dans la région de Lviv, que l’un de ses plus ambitieux repositionnements pourrait voir le jour.
D’après Euromaidan Press, le projet s’articulerait autour d’une coentreprise mêlant ingénierie française et capacités d’assemblage ukrainiennes. Aucun prototype n’a été présenté, mais les experts évoquent une classe de drones comparable aux modèles VTOL (Vertical Take-Off and Landing) tactiques déjà utilisés par les forces ukrainiennes, comme les Leleka-100 ou les Shark, avec une autonomie visée de 90 à 120 minutes, une portée de 30 à 70 kilomètres, et une liaison de données chiffrée en direct.
Le cahier des charges imposerait une compatibilité avec les terminaux SIGINT (Signal Intelligence) des troupes ukrainiennes, ainsi qu’une résistance aux brouillages russes. La cellule pourrait être réalisée en matériaux composites légers, avec un cœur propulsif électrique ou thermique hybride selon les environnements. Renault n’ayant jamais conçu de plateforme aérienne, son rôle serait concentré sur la robotisation de l’assemblage, la gestion logistique, et la production à cadence élevée, selon les méthodes éprouvées dans l’automobile.
Une production dans l’urgence stratégique : haute intensité et logistique distribuée
L’annonce intervient dans un contexte de déséquilibre capacitaire européen. Les États-Unis livrent en masse des drones Switchblade, Phoenix Ghost et Puma, tandis que la Chine alimente plusieurs pays en systèmes MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) performants. L’Union européenne, elle, accuse un retard stratégique majeur.
D’après TF1 Info, la démarche s’inscrit dans une logique d’autonomisation tactique : « On a pris du retard quand les États-Unis ou la Chine allaient de l’avant », confie une source proche de la Direction générale de l’armement. Le gouvernement ukrainien, via le ministère de la Transformation numérique, multiplie les appels d’offres et les exonérations fiscales pour attirer les industriels européens.
Renault aurait été identifié comme un acteur capable de produire rapidement, en s’appuyant sur ses plateformes modulaires, des unités légères et peu coûteuses. Aucun contrat n’est encore signé, mais selon Bloomberg, des équipes d’évaluation industrielle seraient déjà actives sur place depuis fin mai, dans une zone logistique sécurisée.
Une bascule idéologique et industrielle : Renault, futur poids lourd de l’armement léger ?
Le choix de Renault n’est pas anodin. Derrière cette initiative, c’est toute la doctrine industrielle française qui pourrait basculer. Peut-on confier à un constructeur automobile civil la production d’équipements semi-stratégiques en zone de guerre ? Le débat fait rage au sein même de l’état-major français. D’un côté, certains y voient un exemple de mobilisation productive de guerre totale. De l’autre, les défenseurs de la filière souveraine dénoncent une dilution du savoir-faire militaire au profit d’un industriel sans ADN défense.
Dans The Moscow Times, un analyste souligne que Renault « ne fabrique pas d’armement, mais dispose d’une puissance de frappe logistique qui pourrait transformer la cartographie du soutien opérationnel en zone frontale ».
L’Ukraine comme catalyseur de l’Europe de la défense ?
Derrière cette opération se profile une autre ambition : utiliser la guerre en Ukraine comme banc d’essai de l’Europe de la défense. Renault n’est pas seul dans la boucle. Selon Euronews, Thales, Arquus et d’autres partenaires français ou allemands seraient sollicités pour construire un écosystème industriel localisé. Le but ? Créer une base avancée, capable de ravitailler les forces ukrainiennes en continu, sans dépendre des chaînes d’approvisionnement transatlantiques.
Mais ce pari est risqué. Le droit international interdit formellement l’implantation de sites de production d’armement dans des zones de combat. Renault, prudent, parle de « participation logistique et industrielle dans un projet de modernisation civilo-militaire », sans jamais employer le mot “drone” dans ses communiqués officiels. Pour l’instant.
Vers un Renault militarisé ?
La mue stratégique de Renault, si elle se confirme, pourrait constituer l’un des tournants industriels majeurs de la décennie. Une entreprise civile, emblème de la reconstruction d’après-guerre, transformée en producteur de systèmes autonomes pour des conflits hybrides. Cela dépasse le simple cadre de l’Ukraine.
Car demain, si Renault parvient à produire à bas coût, à cadence élevée, des drones résistants aux brouillages et intégrables dans des systèmes C4ISR (Command, Control, Communications, Computers, Intelligence, Surveillance and Reconnaissance), c’est toute l’économie de guerre européenne qui pourrait être redessinée.