Budget de la Défense : Le ministère des Armées en quasi-cessation de paiement !

Le ministère des Armées démarre 2025 avec 8 milliards d’impayés : promesses non tenues, commandes gelées, industrie en asphyxie. L’alerte est grave.

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Armée de l'Air, Marine nationale, armée de Terre, Gendarmerie : tout le monde se serre la ceinture faute d'argent, malgré les promesses. | Armees.com

J’aurais pu titrer « Le ministère des Armées en faillite ». Mais j’aurais sans doute reçu quelques coups de téléphone très courroucés. Du cabinet de Brienne ? De Bercy ? Ou de l’Élysée ? Peu importe. Le fait est là, brut, documenté, implacable : le ministère de la Défense a commencé l’année 2025 avec une dette fournisseur de 8 milliards d’euros. « Nous sommes en guerre« . Vraiment ? La situation ressemble à celle d’un budget défense en déroute.

C’est mon confrère Vincent Lamigeon, de Challenges, qui révèle vendredi 6 juin l’ampleur du désastre. Un désastre budgétaire, industriel, stratégique. Le ministère des Armées – celui-là même que l’on présente comme le fer de lance du redressement stratégique de la France dans un monde instable – est au bord de la cessation de paiement. Une entreprise française lambda aurait 8 milliards de factures en retard, qu’un tribunal de commerce aurait déjà été saisi, et un administrateur judiciaire nommé. Avec à la clef plan de continuation ou… Mais quand il s’agit de l’État, dont les poches profondément percées se remplissent au même rythme que le tonneau des Danaïdes (litote), la caravane passe sans plus jamais aboyer. Ce qui soulève des questions cruciales quant à notre budget défense.

France : Une économie de guerre sans budget défense

Pourtant, notre président Emmanuel Macron n’a-t-il pas annoncé fièrement que nous entrions en “économie de guerre”, appelant les industriels à produire plus vite, à livrer plus vite, à penser autrement ? N’a-t-il pas évoqué, promis, un budget à hauteur 3,5 % du PIB pour la Défense, contre 2 % aujourd’hui ? . Une ambition assumée, relayée par le ministre des Armées Sébastien Lecornu, qui annonçait en 2024 et encore tout récemment avoir pour objectid un budget de la Défense de 90 à 100 milliards d’euros, soit presque le double des 50 milliards actuels (sur le papier) !
Le pire, c’est que je me souviens les avoir tous les deux poussé un coup de gueule en mode « vous ne jouez pas le jeu ». Et Lecornu d’aller en secouer physiquement deux trois sur le terrain, dans leurs usines….

Derrière ces discours, ces belles promesses, la réalité est très, très brutale. À mi-parcours de 2025, au 6 juin, jour du 81e anniversaire du débarquement en Normandie qui ne s’est pas fait avec des radeaux, des brouettes et des fusils à bouchon, aucun des grands programmes d’armement prévus et annoncés n’a été effectivement signé par la DGA (Direction générale de l’armement). Aucun.

Voici la liste, pourtant actée dans le budget 2025 :

  • Lancement de la construction du porte-avions de nouvelle génération (PA-NG)
  • Commandes de missiles Mistral, Aster, Scalp, Mica, Meteor, Akeron MP
  • Achat d’une frégate de défense et d’intervention (FDI)
  • Commande attendue de 30 Rafale pour l’armée de l’air et la marine

Zéro signature. Zéro euro. Rien. Nada. Si on s’est trompés, si on a raté l’info au JO (Journal Officiel), on est tous prêts à la rédac à partir se faire bizuter par le capitaine Gomel ou son successeur au CEFE. Ça fera beaucoup de bien à certains !

“Il n’y a plus un kopeck en caisse”

C’est un « visiteur régulier de l’hôtel de Brienne » qui a lâché cette phrase « il n’y a plus un kopeck » sans détours. Elle a été reproduite dans les colonnes de Challenges, qui fait les choses sérieusement. Ce même constat est partagé par Cédric Perrin, président (LR) de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat : qui s’étonne que l’on secoue les industriels en leur demandant d’aller plus vite, sans passer de commandes derrière.

Résultat : les grands groupes s’en sortent, portés par l’export et les contrats pluriannuels.. et leurs facilités bancaires historiques. Mais les PME du secteur, elles, sont étranglées ! Plusieurs d’entre elles n’ont plus du tout de trésorerie, et commencent à se demander comment payer les salaires. Pire : certaines ont déjà payé leurs propres fournisseurs, pour pouvoir produire le matériel… non encore officiellement commandé par l’État ! Et qui leur sera payé à la Saint Georges ou à la Saint Michel. L’an prochain..

Budget Défense : Bercy serre la vis, le ministère des Armées trinque

Pourquoi ce blocage généralisé ? Bercy serre la vis, voilà tout. Le gouvernement cherche 40 milliards d’euros d’économies d’ici 2026, on nous le répète en boucle depuis trois mois. Et la Défense, malgré les grandes promesses présidentielles, n’échappe manifestement pas au rabot. En tout cas, Bercy n’envoie pas l’argent.

Ajoutez à cela le vote tardif du budget 2025, le 6 février (après la chute du gouvernement Barnier), qui a mis tout le monde en retard. Et surtout, le non-remboursement de 1,2 milliard d’euros de surcoûts subis par le ministère des Armées en 2024 (Ukraine, OTAN, JO de Paris…), alors même que la loi de programmation militaire (LPM) prévoit expressément une compensation.

Conséquence directe : 3,29 milliards d’euros de crédits gelés au 12 mai. Des crédits gelés, ce sont des commandes bloquées. Et des industriels qui n’ont plus aucune visibilité. Je vous passe les primes que la Grande Muette doit à ses soldats, et qui tardent à arriver sur leurs comptes, de plus en plus. Et ce n’est pas à cause d’un logiciel défaillant cette fois.

Défense : 8 milliards d’impayés, record battu

Pour éviter de sombrer, le ministère a actionné à fond le levier du “report de charges”. En clair : on commande, on est livré, mais on paiera plus tard, l’année suivante ou celle d’après. Demain, on rase gratis ! Problème : à force de reporter, la dette s’accumule. Résultat : 8 milliards d’euros d’impayés fin 2024, un record historique. +30 % en un an, et un doublement en trois ans.

Chaque début d’année, le ministère commence donc avec un handicap budgétaire colossal, car il doit régler les factures de l’année précédente avant même de penser à passer de nouveaux contrats. Et les marges de manœuvre disparaissent.

Une catastrophe en vue pour l’industrie de la Défense française ?

Du côté des industriels, l’inquiétude grandit. Le PDG de Dassault, Éric Trappier, cité églement par Challenges, mets les pieds dans le plat :

« La question que toute l’industrie de défense se pose, c’est : est-ce que la France a encore les moyens de passer commande ? »

Même son de cloche du côté d’Airbus, dont le patron du groupe et du Gifas (le groupement des industries françaises de l’aéronautique et de l’espace, qui organise notamment le Paris Air Show dans quelques jours au Bourget) rappelle que les nouvelles commandes ont chuté de 33 % en 2024 par rapport à 2023. L’Alat attendra ses ventilos de remplacement.

Budget des Armées : La disette, jusqu’à quand ?

Quelques signaux faibles laissent espérer un léger déblocage : 650 millions d’euros auraient été récemment dégagés pour payer les factures les plus urgents. Mais on est encore très loin du compte, en tout cas, loin des 8 milliards… pour 2024 ! Et nous sommes en juin.

Alors non, le ministère des Armées n’est pas encore en faillite. Mais il vit à crédit, mois après mois. Comme ses homologues, l’Intérieur, la Justice, l’Education Nationale….Il promet sans pouvoir signercommande sans pouvoir payer, et mobilise l’industrie sans pouvoir la soutenir au moment où, clairement, elle en a le plus besoin.

Conseil à ceux qui rêvent de réarmer la France, de restaurer sa souveraineté stratégique et de bâtir une défense du XXIe siècle : commencez par honorer vos factures. C’est la base !

Ps : j’oubliais : on nous a aussi promis de lever une armée de réservistes. Le souci, c’est que les réservistes sous contrat font grise mine : faute d’argent pour les payer, ils ne sont pas, ou très peu mobilisés, sauf quand il s’agit de remplacer des camarades d’active indispensables au « bon » fonctionnement des armées…

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